LES GRANDS PRINCIPES DE L'ESTHETIQUE
LA CONICITE




L'art du bonsaï consiste à créer un arbre d'aspect vénérable, réplique stylisée de ceux qui s'épanouissent en pleine nature. Peu importe son âge réel, c'est son aspect qui compte : ressemble-t-il à un jeune arbre de quelques années ou à un arbre mature ?

« On recherche une image de vieillesse, de vécu... C'est ce qui va créer cette émotion si particulière.» Olivier Barreau

Pour cela, le tronc doit être conique : il va en s'amincissant du nebari à la cime, comme les branches vont en s'amincissant de leur base à leur extrémité.

Un tronc cylindrique donne l'impression d'un tout jeune arbre.

  

N.B. Pour favoriser le grossissement de la base, on peut conserver des branches qu'on laissera se développer sans les réduire et qu'on coupera plus tard -tout en taillant plus sévèrement le haut de l'arbre- (=branches de sacrifice).


Pour gagner en conicité, on peut aussi refaire la cime de l'arbre : on choisit une branche bien orientée qu'on redresse pour qu'elle se substitue à la cime existante, trop épaisse, et on coupe le tronc à sa hauteur.
C'est la même technique sur les branches pour supprimer les "tuyaux" : on repart sur une branchette qui se substitue à l'extrémité trop épaisse, que l'on coupe.
LE DYNAMISME
L'arbre doit montrer un dynamisme plus ou moins accentué (sauf dans le style chokkan, dont le tronc est rigoureusement droit, et dans le style hokidachi au tronc court et vertical).
Le dynamisme est déterminé par le mouvement de l'arbre (ici, vers la gauche):
Il est renforcé par :

le décalage de la cime
par rapport à l'axe de la base

le décalage de l'arbre dans son pot,
à l'opposé de son mouvement
(mouvement vers la gauche : arbre décalé vers la droite ;
mouvement vers la droite, arbre décalé vers la gauche)

la dissymétrie du feuillage

le jeu des espaces vides
(voir plus loin : espaces vides)
LE NATUREL
Le bonsaï doit être naturel : un feuillu ne doit pas être construit comme un conifère ! Un érable ne ressemble pas à un cèdre, pas plus qu'un pin [noir] à un chêne [sessile] !
1. La silhouette est différente : généralement, un feuillu a une forme plus ronde qu'un conifère, qui s'inscrit davantage dans un triangle.
Mais la silhouette générale de l'arbre ne suffit pas dans certains cas à différencier feuillus et conifères, comme le montrent ces silhouettes de bonsaïs (feuillus à gauche - conifères à droite) exposés à la Kokufu-Ten :
  

2. L'angle de sortie des branches n'est pas le même : les branches des conifères descendent en général et forment un angle aigu vers le bas avec le tronc.
N.B. Il existe bien sûr des conifères qui développent des branches dressées vers le haut mais, dans l'art du bonsaï, il s'agit d'évoquer la famille des conifères d'une manière codifiée : or l'image qui la représente le mieux, c'est celle d'un arbre de montagne exposé à des conditions climatiques très rudes (notamment le poids de la neige sur les branches) et non celle d'un arbre d'ornement dans un jardin public !

Les branches des feuillus peuvent avoir un départ à l'horizontale au niveau du tronc (même si ensuite elles s'abaissent) ou forment un angle aigu vers le haut d'autant plus prononcé qu'elles se rapprochent de la cime.
3. La cime est différente : les conifères ont une cime arrondie ou triangulaire (parfois plate dans la nature, mais pas dans le bonsaï), et celle-ci est formée de branches qui retombent

  

Les feuillus ont une cime arrondie, et celle-ci est formée de branches qui se relèvent.
4. L'organisation de la végétation est différente : les conifères développent un feuillage qui forme des "plateaux".
En effet, sur les arbres à feuillage persistant, seules les pousses situées sur le dessus des branches (c. à d. à la lumière) se développent, celles situées en-dessous meurent, ce qui aboutit à la formation d'étages de végétation.

Les feuillus n'ont pas des plateaux aussi marqués que les conifères, mais ont une végétation plus "désordonnée".
En effet, quand ils perdent leurs feuilles, la lumière peut stimuler les bourgeons latents situés à l'intérieur de la ramure et permettre à de nouvelles branches de se développer, créant ainsi une ramification tertiaire complexe.

Toutefois cette règle connaît des exceptions chez les bonsaïs : en effet, on construit avec des plateaux bien marqués les arbres persistants (Buxus, Olea, Ligustrum etc ) et surtout les azalées satsuki, dont la floraison se trouve favorisée grâce aux espaces vides ainsi créés.
A noter que les branches et la cime sont par contre travaillées dans le style propre aux feuillus...
Avant de poursuivre, prenons l'exemple de quelques CARPINUS BETULUS pour bien comprendre les points 1-4 de cette notion de NATUREL, essentielle en bonsaï !
     

1. un charme élégant (en début de printemps), construit comme un feuillu avec une silhouette et une cime arrondies : bonsaï réussi (même si on gagnerait peut-être à supprimer les 1ère et 2ème branches, mal orientées) !
2. un charme construit comme un conifère, avec une cime pointue et une silhouette vraiment triangulaire -on pourrait tracer 2 lignes droites obliques en suivant le feuillage- : bonsaï raté !
3. un charme construit comme un conifère, avec des plateaux très marqués et une cime pointue : bonsaï raté !
     

4. un charme élégant mais dont il faudrait corriger la cime pour qu'elle soit arrondie, et la silhouette pour qu'elle soit un peu moins triangulaire : bonsaï à améliorer !
5. un charme élégant, construit comme un feuillu, avec une silhouette et une cime arrondies et des branches bien orientées : bonsaï réussi !
6. un charme, au très beau nebari, construit comme un feuillu avec une silhouette et une cime arrondies : superbe bonsaï !
  

7. un charme avec une cime arrondie mais à la silhouette un peu trop triangulaire et avec des plateaux un peu trop marqués : bonsaï à rendre plus naturel !
8. un charme élégant, construit comme un feuillu avec une silhouette et une cime arrondies : bonsaï réussi (même si quelques branches sont -semble-il- mal orientées) !
5. Tous les arbres ne portent pas de bois morts : dans la nature, les bois morts apparaissent quand l'arbre est foudroyé ou exposé à des périodes prolongées de sécheresse, ou bien encore lorsqu'une branche casse à cause de l'effet du gel, du vent ou du poids de la neige ; le bois meurt et blanchit sous l'effet du soleil.
Les bois morts sont caractéristiques des conifères.


Les bois morts -jin (branche écorcée et cassée) et shari (partie du tronc écorcée)- améliorent considérablement le caractère du bonsaï et son aspect mature, mais leur présence n'est en général pas réaliste sur les feuillus caducs puisque, dans la nature, les bois morts pourrissent sur ce type d'arbres.
Acer palmatum présenté au Bonsaï-san Show à Saulieu,en 2019.

= très beau travail de torsion et de scarification. mais bois morts propres à un Juniperus Chinensis, pas à un Acer palmatum !

Un arbre qui n'est pas du tout naturel : exemple à ne pas imiter !

Seules exceptions chez les feuillus caducs, les Prunus mume, les Prunus mahaleb...

Par contre, on trouve dans la nature des bois morts sur des feuillus persistants et cette technique peut être appliquée aux Olea, Buxus, Ligustrum etc...
    

LES ESPACES VIDES ET LA PROFONDEUR
Les espaces vides, outre qu'ils donnent du rythme et permettent de circuler à l'intérieur des branches, renforcent l'effet de profondeur par le cheminement du regard à travers l'arbre. Il sont essentiels dans l'art du bonsaï.

"Ces espaces vides sont indispensables : si l'on ne distingue rien, ni contour, ni mouvement, on se retrouve en face de quelque chose de statique, qui ressemblera à une haie, à un Minokake (vêtement imperméable porté par les paysans Japonais). Pierre Rudelle (ESSAI SUR LA CONSTRUCTION DES BONSAÏ)


pas d'espaces vides --> quelque chose de compact, statique et sans âme... ni plus ni moins qu'une haie !




Pour bien saisir le caractère essentiel des espaces vides, on peut comparer deux états du même bonsaï :
yose (bosquet) revu avec "Photoshop" :
végétation en "casque" offrant un aspect compact - manque de profondeur et de légèreté
yose (bosquet) véritable :
de la profondeur et beaucoup de naturel, beaucoup de dissymétrie aussi - un bonsaï qui "respire"
Pinus pentaphylla négligé par son propriétaire : quelques espaces vides qui subsistent, mais très réduits (parce que refermés par la végétation)
aspect compact
Pinus une fois restructuré par Masahiko Kimura : suppression de qq branches et création de bois morts - très importante réduction des masses foliaires, ce qui dégage la ligne de tronc et le départ des branches --> un arbre allégé, planté sous un nouvel angle
Pinus pentaphylla avant taille :
masse compacte du feuillage à gauche, les plateaux ne sont plus lisibles
Pinus pentaphylla après taille :
réduction des masses foliaires, ce qui dégage la ligne de tronc et le départ des 2 branches implantées sur l'arrière - beaucoup de profondeur désormais
L'EQUILIBRE
On recherche l'équilibre par une bonne répartition des masses : cet équilibre sera soit symétrique, soit asymétrique.


L'équilibre est symétrique quand le "poids" des branches est identique des deux côtés du tronc.
(croquis de Michel Sacal)
C'est le cas pour les styles hokidachi (balai) et chokkan (droit formel) [encore que, dans ce dernier style, on puisse créer une certaine dissymétrie en jouant sur une longueur irrégulière des branches ou en remplaçant des branches par des bois morts].

L'équilibre est asymétrique quand le "poids" des branches est plus fort d'un côté du tronc que de l'autre
(croquis de Michel Sacal)
C'est l'équilibre asymétrique que l'on recherche le plus en bonsaï : il faut donc à la fois créer de la dissymétrie et proscrire le déséquilibre, qui pourrait en résulter : l'arbre doit sembler solidement ancré dans son pot, et pas en train de tomber !

Quelques exemples de beaux bonsaïs à l'équilibre asymétrique :
longues branches tirantes à droite, qui compensent l'inclinaison du tronc à gauche

branches plus courtes à droite et présentes seulement dans la partie supérieure

cime ramenée vers la droite

= équilibre asymétrique parfait !
base très puissante

feuillage concentré à droite et longue branche tirante
--> masse qui fait contrepoids à l'inclinaison du tronc à gauche et surtout aux grosses branches sinueuses

= équilibre asymétrique parfait !
shakan (penché) construit à l'inverse des précédents, avec le feuillage du côté de l'inclinaison du tronc

feuillage de gauche court mais touffu (dont la branche d'appui mise en valeur par l'espace vide), courbure marquée du tronc qui remonte vers la gauche, avec une forte torsion au sommet
--> font contrepoids au feuillage très aérien de droite, étagé en plateaux très légers

= équilibre asymétrique parfait !
Que l'équilibre soit symétrique ou asymétrique, l'important est de parvenir à l'harmonie
"Quand on parle de l'esthétique des bonsaï, la première chose qui nous vient à l'esprit est l'Harmonie". Philippe Manvieu

C'est cette harmonie qui va susciter l'émotion chez le spectateur...