CLASSIFICATION SHIN-GYŌ-SŌ
INTRODUCTION A SHIN-GYŌ-SŌ
L'esthétique japonaise classe les choses (motifs pour kimono - arc et épée aussi bien que pratique elle-même des arts martiaux - manière de s'agenouiller - cérémonie du thé - ikebana - dessin de jardin - dallage etc) en 3 catégories, shin-gyō-sō :
-shin (= formel) s'applique à ce qui est strict, symétrique, solennel, imposant, régulier, rectiligne ;
- (=informel) s'applique à ce qui est "décontracté", asymétrique, détendu, épuré, irrégulier, à ce qui dégage une sensation de liberté et de simplicité ;
-gyō (=semi-formel) s'applique à ce qui est entre les 2 extrêmes shin et , avec plus de douceur et de rondeur que shin.

Ces notions sont indissociables de la calligraphie japonaise -cette manière d'écrire appelée shodō- d'où est issu ce système de classification.
Voici trois exemples d'un même kanji écrit dans les trois styles :

style kaisho à gauche          style gyōsho au centre        style sōsho à droite
                   
                   
                  

Ces styles d'écriture n'ont rien de "féminin" ou de "masculin". Voici ce qu'écrit Komparu Kunio : « Shin-Gyō-Sō est un principe de transformation progressive qui conduit à la maturité et à la réalisation (de soi). Les enfants apprennent à écrire les caractères dans une forme claire (shin), les adultes peuvent aller plus loin et écrire en forme semi-cursive (gyō), mais seuls les experts en calligraphie peuvent atteindre une écriture pâteuse, lisse et gracieuse (sō)».

Dans le style formel kaisho (qui correspond à shin), les caractères sont "carrés", élaborés, faciles à identifier ; c'est le shodō utilisé pour les papiers administratifs.
Dans le style semi-formel gyōsho (qui correspond à gyō), les caractères sont un peu déformés, tracés plus rapidement, partiellement simplifiés ; c'est un shodō semi-cursif ;
Dans le style informel sōsho (qui correspond à ), les caractères sont très simplifiés, on a une écriture libre et sensible avec un minimum de coups de pinceau ; c'est un shodō cursif.


Ce classement logique des choses entre shin-gyō-sō intervient dans le kazari (ou toriawase), qui est l'art d'associer, dans un tokonoma ou dans un espace d'exposition, les différents éléments d'une présentation.
LE TOKONOMA
Le tokonoma, dans la maison japonaise traditionnelle, est une alcôve surélevée de la taille d'un tatami (1m80 x 90cm) utilisée comme un lieu de contemplation -voire de méditation- du fait des objets d'art ou de décoration qu'on y présente et où l'espace vide tient une place aussi importante que les objets eux-mêmes.

Dans un tokonoma, on expose, au choix, en les associant ou non :
un kakemono


support pour des calligraphies ou peintures
un kakejiku

rouleau servant de support aux peintures et calligraphies
un suiseki

pierre de contemplation
un ikebana

composition florale
un kusamono

composition de plusieurs plantes [kusa : herbe / mono : chose]
un tenpai


figurine
un okimono

statuette (souvent en ivoire)
un kabin

vase (porcelaine ou céramique)
un bonsaï


Le tokonoma peut être shin, gyō ou .
Dans la classe supérieure japonaise, on avait trois pièces pour les invités : l'invité le plus important était reçu dans la pièce la plus représentative, située dans le côté droit de la maison et présentant un tokonoma shin ; un invité de moindre importance était reçu dans une pièce du centre de la maison, avec un tokonoma gyō ; enfin, il y avait une troisième pièce avec un tokonoma sō : le salon de thé ou le pavillon de thé, où se déroulait la cérémonie du thé.

Ce sont la poutre de soutien verticale (tokobashira) délimitant le tokonoma et la bande (tokogamachi) longeant l'espace d'exposition (tokojiita) qui déterminent l'appartenance à telle ou telle catégorie :
  • le tokonoma shin possède une poutre de section carrée lisse et un tokogamachi laqué noir


  • le tokonoma gyō possède une poutre de section ronde et un tokogamachi marron


  • le tokonoma sō possède non pas une poutre, mais un tronc naturel, pas parfaitement droit, écorcé ou non, et un tokogamachi de couleur claire


A noter que dans les maisons japonaises contemporaines, il n'y a le plus souvent qu'un seul tokonoma gyō ou , mais qu'on y expose indifféremment des présentations shin, gyō ou .
LA PRESENTATION EN EXPOSITION
Dans les expositions de bonsaïs, on installe parfois quelques tokonoma pour accueillir les arbres de certains invités :
tokonoma installés au Bonsai-San Show de Saulieu pour les arbres de David Benavente en 2015

Mais généralement on a des espaces, séparés par des bambous, qui symbolisent ces alcôves de la maison japonaise. On y recrée côte à côte des compositions shin, gyō et sō.
Cette classification s'applique non seulement au bonsaï, mais à son pot (hachi) et à la tablette de présentation (shoku), ainsi qu'au pot et au support de l'herbe (shitakusa) qui seront installés dans ces espaces.
En effet on ne met pas n'importe quel arbre avec n'importe quel pot ou n'importe quelle tablette ! Et ce sont les conventions qui régissent les associations entre ces différents éléments de la présentation qui vont permettre d'atteindre l'accord parfait : harmonie et équilibre.

I. LA PRESENTATION SHIN
A. LES ARBRES

Sont classés shin :
- tous les résineux (Pinus, Taxus, Juniperus, Larix, Cedrus, Chamaecyparis, Cryptomeria etc ) à l'exception de ceux de style forêt (yoseue), qui sont classés gyō; et de ceux de style lettré (bunjingi), qui sont classés sō ;
- les Prunus (Prunus mume = abricotier du Japon / Prunus mahaleb = cerisier de Sainte-Lucie, arbre européen) ;
- les Buxus, les Olea ... (buis, olivier = feuillus persistants européens) ;
- les satsuki (azalées japonaises).

Ces arbres -sauf les satsuki- sont souvent caractérisés par des bois morts : jin, ten-jin, shari, sabi, uro.

La catégorie shin comprend 3 sous-catégories :
shin/shin
shin/gyō
shin/sō
  • les arbres shin/shin : possèdent un tronc épais et un nebari massif ; ils donnent une impression de force et de puissance - les styles qui correspondent le mieux à cette catégorie sont ceux de style droit formel (chokkan) et cascade (kengai) très verticale.
          
  • les arbres shin/gyō : ont un tronc moyen, donc moins épais que la catégorie shin/shin, souvent avec des formes courbes ou penchées [droit informel (moyogi), penché (shakan), semi-cascade (han-kengai)]; ils donnent moins d'impression de force et de puissance.
          
  • les arbres shin/sō : ont un tronc fin ; ils donnent une impression d'élégance.
          

B. LES POTS

Les pots shin sont en terre cuite brute, mate, non vernissée, de couleur brun rougeâtre foncé, et ils peuvent avoir une texture rugueuse.
Ils sont de forme rectangulaire ou carrée et donnent une impression de grande stabilité, avec des pieds droits et épais, ou évasés et orientés vers l'extérieur.

La catégorie shin comprend 3 sous-catégories :
shin/shin
shin/gyō
shin/sō
  • les pots shin/shin : sont massifs, profonds, adaptés aux gros conifères ; ils ont des côtés rectilignes (verticaux ou très légèrement évasés) et des angles pointus à angle droit ; ils peuvent avoir un rebord (de section carrée) pour un arbre avec très gros nebari.

          
  • les pots shin/gyō : sont moins massifs ; rebords, coins ou/et formes s'arrondissent.

          
  • les pots shin/sō : sont encore plus fins ; les formes sont plus douces et s'arrondissent davantage, les pieds sont plus élégants.
          

C. LES TABLETTES

Les tablettes shin sont rectangulaires ou carrées ; elles doivent être simples (décoration discrète s'il y en a une) et donner l'impression de robustesse ; elles ont un aspect mat et patiné et sont foncées, voire très foncées, pour accentuer l'impression de lourdeur. Les pieds tournés vers l'extérieur augmentent l'effet de stabilité.


La catégorie shin comprend 3 sous-catégories :
shin/shin
shin/gyō
shin/sō
  • les tablettes shin/shin : sont massives, avec des angles pointus à angle droit et des pieds épais, qui sont à l'aplomb du plateau et ne le dépassent pas.
       

       
  • les tablettes shin/gyō : ont une forme moins lourde, plus douce.

          
  • les tablettes shin/sō : sont encore plus fines ; les formes sont plus légères et s'arrondissent davantage, les pieds sont plus élégants.
       


Voici deux présentations shin : une dans un tokonoma et une en exposition de bonsaïs :

La présentation est shin/gyō.


L'arbre et le pot sont shin/shin, la tablette shin/sō (Bonsaï-san Show Saulieu 2018)

II. LA PRESENTATION GYŌ
A. LES ARBRES

Sont classés gyō :
- les arbres à feuilles caduques (Acer, Ulmus, Carpinus, Quercus, Fagus, Fraxinus, Zelkova etc ) ;
- les arbres à fleurs et à fruits (Chaenomeles, Wisteria, Malus, Punica granatum, Diospyros kaki etc) ;
- les conifères de style forêt (yoseue).
Les feuillus, que caractérisent des courbes douces et un feuillage délicat, sont dépourvus de bois morts (sauf très rares exceptions).

La catégorie gyō comprend 3 sous-catégories :
gyō/futo [futo = "gros"]
gyō/gyō
gyō/sō
  • les arbres gyō/futo : possèdent un tronc épais et un nebari puissant.


        
  • les arbres gyō//gyō : ont un tronc moyen, donc moins épais que la catégorie gyō/futo.
          
  • les arbres gyō//sō : ont un tronc fin ; donnent une impression de grande élégance.
          

B. LES POTS

Les pots gyō sont émaillés et présentent différents coloris.
Ils sont le plus souvent ovales, ou d'une forme rectangulaire proche de l'ovale. Les pieds sont droits ou orientés vers l'intérieur.

La catégorie gyō comprend 3 sous-catégories :
gyō/futo [futo = "gros"]
gyō/gyō
gyō/sō
  • les pots gyō/futo : sont adaptés aux feuillus massifs ; ils sont ovales ou parfois rectangulaires avec des angles très arrondis ou rentrés vers l'intérieur ou à pans coupés ; ils ont des parois rectilignes presque verticales ou sont légèrement évasés ; ils ont un rebord si l'arbre a un gros nebari

          
  • les pots gyō/gyō : sont ovales, plus fins, plus arrondis que ceux de la catégorie précédente ; peuvent être bombés.

             
  • les pots gyō/sō : sont plus fins, moins hauts que la catégorie précédente ; ils sont souvent très peu profonds et sans pieds.
             



Les pots de forme gyō peuvent être utilisés avec des arbres shin/gyō, à condition qu'ils soient non émaillés !
   

C. LES TABLETTES

Les tablettes gyō, rectangulaires, rondes ou carrées, sont moins massives que les tablettes shin et ont souvent des barreaux (on les appelle sanjoku) ; elles sont marron foncé, avec un aspect patiné presque mat. Le plateau peut dépasser des pieds.


La catégorie gyō comprend 3 sous-catégories :
gyō/futo [futo = "gros"]
gyō/gyō
gyō/sō
  • les tablettes gyō/futo : donnent une impression de solidité adaptée à de gros arbres.


          
  • les tablettes gyō/gyō : adoptent des formes plus arrondies, plus douces, plus légères.

          
  • les tablettes gyō/sō : sont encore plus fines et donnent une impression de légèreté, avec des pieds très élégants.


          


Voici trois présentations gyō : une dans un tokonoma et deux en exposition de bonsaïs :

L'arbre et la tablette sont gyō/gyō, le pot gyō/futo.


L'arbre est gyō futo ; le pot et la tablette sont gyō/gyō


Très belle harmonie de couleurs dans cette présentation gyō : les couleurs du kakejiku, complémentaires, reprennent celle du pot et celle des baies présentes sur le Celastrus orbiculatus.


III. LA PRESENTATION
A. a) LES ARBRES

Sont classés les arbres de style lettré, qui sont le plus souvent des pins.

Le style lettré est un style très libre, caractérisé par un tronc sans conicité mais avec beaucoup de mouvement (courbes, ruptures) et par un feuillage réduit, présent dans le dernier tiers supérieur. Normalement, les lettrés sont dépourvus de bois morts, mais cette règle n'est pas toujours respectée, surtout en Occident !

   


b) LES HERBES
Il y a les kusamono(compositions de plusieurs plantes) qui s'exposent uniquement dans le tokonoma et les shitakusa, ou plantes d'accent, qui accompagnent les bonsaïs dans les présentations.

   
B. LES POTS

Les pots destinés aux conifères de style lettré sont simples, ronds, peu profonds, en terre cuite non émaillée.

      

      

   


Les autres pots sont émaillés ou non, de couleur terre ou de couleur vive ; ils sont ronds, hexagonaux, octogonaux ou d'une forme raffinée (lotus, par exemple), hauts ou bas.
      

      

      





Les pots de forme sō peuvent être utilisés avec des arbres gyō/sō et des arbres shin/sō, à condition que, pour ces derniers, ils soient non émaillés !
   

C. LES SUPPORTS

Il existe différents supports sō :
  • les jita :
    des tranches de bois, en général, vernies, de forme irrégulière ou de forme régulière (ronde, carrée, rectangulaire)


             
  • les yatsuhachi :
    des planchettes de même dimension, en nombre impair, accolées l'une à l'autre mais positionnées de façon asymétrique
       
  • les sunoko :
    de petites nattes de bambou que -selon les conventions- on ne peut utiliser qu'au printemps et en été

Pour les lettrés, on peut aussi utiliser des tablettes gyō/sō basses, de forme ronde ou carrée


Quelques photos de lettrés ou d'herbes sur ces supports ou tablettes :
                       




Voici deux présentations : une dans un tokonoma et une en exposition de bonsaïs :

L'arbre, le pot et le support sont .


L'arbre et le pot sont ; la tablette est gyō/sō